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24 octobre 2010 7 24 /10 /octobre /2010 14:38

 

 

La nuit est tombée sur le désert, froide et profonde... Ils sont installés dans la tente, sur des tapis et des peaux de moutons. Le chef a servi le thé à la menthe, long ruban brûlant étiré vers les verres. Le conteur attend. Le silence se fait peu à peu. Alors, lui, dont la tâche est de choisir les mots pour porter la parole, commence.

 

Le désert est imprévisible. Parfois dans l'immensité dorée du Grand Sud, arrive un chameau blanc qui avance de son pas balançant. Sur son dos, il y a un étranger, digne dans son vêtement bleu, le turban enroulé autour de son crâne, un pied autour du cou de sa monture en guise de rêne. Il a sûrement vu avant que d'être vu: on ne rentre pas par hasard dans un camp.

Le voilà qui arrête son méhari, le fait baraquer et descend d'un pas assuré vers la grande tente du chef.

 

- La paix soit sur toi et ta tribu. Je suis un homme de sagesse et d'expérience. Si vous me permettez de demeurer un temps parmi vous, je mettrai ces quelques heures à profit pour vous aider.

 

- La paix soit avec toi, homme du Grand Sud. Ma tente est la tienne pour le temps où tu es notre invité. Viens te restaurer.

 

L'hospitalité est sacrée pour les peuples nomades et puis, l'estime témoignée par le chef encourage les autres. L'annonce de l'arrivée du noble voyageur fait rapidement le tour des tentes.  L'étranger se promène dans le camp, il y est chez lui. Il s'intéresse au tisserand, échange quelques paroles avec le chamelier, contourne une tente et parvient devant une femme qui secouait une guerba de lait pour la baratter.

Sans un mot, il fait voler l'outre de peau, envoie valser le trépied. Le lait se répand dans le sable qui le boit avidement. La femme est consternée. L'homme est l'hôte du chef et on ne dit rien à son hôte. Elle se tait.

 

L'étranger ne porte aucune attention à son désaroi. Il continue la visite du camp. Sa route croise celle de jeunes filles qui reviennent du puits, portant de précieuses jarres. Sans un mot, il lève la main, renverse les jarres et les récipients, puis les casse à coups de pied. Les jeunes filles sont terrorisées, tout leur visage exprime cette frayeur. L'homme n'y prête aucune attention. Il est l'hôte du chef, et à son hôte on ne dit rien. Elles se taisent.

 

Un peu plus loin, un nomade se prépare pour aller au ravitaillement de pains de sucre. Tout est prêt, il ne lui reste qu'à vérifier la selle de son chameau. L'étranger s'avance, sort son épée du fourreau de cuir qu'il porte au côté et égorge la bête. Le nomade est catastrophé, les larmes emplissent ses yeux, il ne comprend rien à ce qui vient de se passer. L'homme est l'hôte du chef, et à son hôte on ne dit rien qui puisse le fâcher. Il baisse la tête et ne dit rien.

 

Quand sa visite du camp s'achève, l'étranger remonte sur son chameau et s'apprête à prendre congé. Toutefois avant de lancer sa monture vers les dunes, il parle haut et fort.

 

- Nous ne comprenons pas les bouleversements de l'existence. Nous voilà saisis comme des poivrons frits, désepérés, interloqués, hagards. Nous crions et nous pleurons parce que nous ne voyons qu'une petite parcelle de la réalité. Je suis venu à vous. J'ai dit que je vous aiderai. Ma sagesse pour votre hospitalité. Et voilà que je renverse votre lait, que je casse vos cruches, que j'égorge vos chameaux... Est-ce l'oeuvre d'un fou ou d'un sage ? J'ai pourtant fait ce que j'ai dit. Ma sagesse pour votre hospitalité. La chamelle avait mangé de l'herbe empoisonnée, j'ai sauvé cette femme et ses enfants. Le puits dans lequel vos filles ont puisé l'eau contient le cadavre pourrissant d'un âne. Quelques gorgées de cette eau et dix d'entre vous ne seraient plus. Ce chameau n'était que l'ombre de lui même. Il n'avait plus ni force ni sens de l'orientation. L'homme serait mort de faim, de soif et d'épuisement.

La vie nous envoie ainsi des étrangers. Nous sommes abasourdis devant les bouleversements de l'existence. Tristes ou furieux, nous demeurons enfermés dans les villes prisons de nos certitudes alors que nous nous croyons nomades ! Il faut pourtant bien un jour se hisser sur la pointe des pieds vers le ciel étoilé pour comprendre enfin le pourquoi, le sens des choses. Soyez sans rancune. Ecrivez si vous le souhaitez, les évènements douloureux que vous avez subis dans le sable mais gravez dans le marbre les encouragements du destin.

 

Le passager de l'inconnu part sur ses paroles vers l'immensité du Grand Sud.

Ils regardent longtemps le chameau blanc qui s'éloigne de son pas balançant au loin dans les dunes. Enfin, il disparaît, comme il était venu. Là où le lait avait versé, parmi les cruches cassées, près du chameau mort, les nomades trouvent des pièces d'or.

 

Le conteur saharien a presque fini son histoire. Il fend et casse encore un peu la coquille des mots qui s'évaporent sur les chemins de l'errance. Il ajoute doucement:

 

- Ainsi, ce que tu perds est peut-être un don.

 

Il accueille le profond silence et la paix qui viennent clore son récit. Celui qu'il a raconté et qui tient lieu de puits à sa soif de juste parole.  Il dit ce qu'il faut, pas trop.

 

Car c'est celui qui écoute qui doit puiser son eau.

 

 

 

 

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commentaires

A
<br /> Je remonte tranquillement le chemin des contes, marchant ce soir au pas de l'étranger. A chaque instant se dit une étincelle, même dans la plus grande des obscurités. Bises. Anne<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> J'attends demain soir avec impatience pour cette vacance de l'esprit, goûter chaque instant, l'oiseau qui s'enfuit ou la feuille qui tombe. Ecouter la nature me parler de la vie. Bises. Mireille<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> "Puiser son eau dans l'écoute de l'autre" revient à tirer les leçons des épreuves que la vie nous fait traverser. Il faut savoir desceller les signes qui font que nous relevons de nouveau la tête<br /> pour avancer de nouveau sur le chemin de la vie.<br /> J'ai aimé ce conte, merci pour le partage.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je suis toujours heureuse de voir qu'un conte plaît. Celui-ci m'a aidé à me relever après une épreuve et à avancer de nouveau tête haute. C'est pour cela que je souhaitais le partager. Merci pour<br /> le gentil commentaire.<br /> <br /> <br /> <br />

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